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482 AVERTISSEMENT.

ramis, qui n’avait que trop de facilités pour empêcher la représentation de la seconde. Au-dessus de l’approbation des censeurs, il y avait celle du lieutenant de police ; Voltaire adresse à celui-ci une belle lettre où il manifeste confidentiellement ses appréhensions. Il peut s’alarmer à tort ; mais, à tout événement, il en appelle à l’équité, à la haute bienveillance du magistrat. Permettez, lui écrivait-il, qu’en partant pour Commercy, je remette c(la tragédie de Sémiramis entre vos mains et que je vous demande votre a protection pour elle. On la représentera pendant mon absence (il ignorait alors qu’il assisterait à la première soirée). Je commence par la soumettre à votre décision, non-seulement comme à celle du magistrat de la police, mais comme aux lumières d’un juge très-éclairé. M. Crébillon, commis par (c vous à l’examen des ouvrages de théâtre, a fait autrefois une tragédie de Sémiramis^ et peut-être ai-je le malheur qu’il soit mécontent que j’ai traa vaille sur le même sujet. Je lui en ai pourtant demandé la permission, et je vous demande à vous, monsieur, votre protection, m’en remettant à vos bontés et à votre prudence. » M. Berrier répondit le plus obligeamment du monde, et l’option de Crébillon se borna à la suppression de quelques vers. Voltaire estima que c’était encore trop, et n’eut de repos qu’après avoir fait restituer les passages retranchés. »

Les comédiens firent pour cette pièce des changements de décors qui n’étaient pas dans leurs habitudes. C’est que Louis XV s’était chargé de hi dépense du spectacle, en considération de feu M"’* la Dauphine pour qui la nouvelle tragédie avait été faite. — Cette dépense fut réglée à cinq mille francs selon les uns, à huit ou dix mille selon les autres, ce qui ne serait pas encore un chiffre très-élevé, si nous le comparions à ce qu’il en coûto aujourd’hui pour monter une pièce avec quelque luxe.

Le grand obstacle à l’effet de la représentation, c’était l’encombrement du théâtre par les spectateurs. Le premier soir, il y eut une telle foule que les comédiens ne pouvaient se mouvoir. À la scène du tombeau de Ninus. la sentinelle postée sur le théâtre, ne voyant pas de passage suffisant même pour un fantôme, cria tout haut : « Place à l’Ombre I » L’Ombre s’embarrassa dans les jambes des jeunes seigneurs, et faillit tomber. On n’a pas de peine à comprendre combien, dans de telles conditions, toute illusion devenait impossible. Aux soirées suivantes, on prit les précautions nécessaires pour ne pas laisser pénétrer sur le théâtre plus de monde qu’il ne fallait.

Le succès ne fut pas décisif à la première représentation. Il y avait deux camps dans la salle, celui des ennemis de Voltaire et celui de ses partisans. Dans le premier étaient les <r soldats de Corbulon », comme Voltaire appelait les partisans de Crébillon, les jaloux et les rivaux. Piron était à leur tcHe. L’autre camp, celui des amis, était nombreux et composé avec soin. Voltaire avait distribué quati*e cents billets, et les avait placés en de bonnes mains, c’est-à-dire, « capables de bien claquer, et à propos », comme dit Longchamp. Ces troupes amies étaient conduites par Thiériot, Dumolard, Lambert, de Lamare, de Mouhy, et le chevalier de la Morlière dont l’influence dans le parterre était presque souveraine.

Les trois premiers actes, malgré ces précautions, furent accueillis froide-