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ACTE II, SCÈNE IV.

bénassar.

Sais-tu quelle est Thorreur dont ton crime m’accable ?

zulime.

Je sais trop qu’à vos yeux il est inexcusable.

bénassar.

J’aurais pu te punir, j’aurais pu dans ces tours
Ensevelir ma bonté et tes coupables jours.

zulime.

Votre colère est juste, et je l’ai méritée.

bénassar.

Tu vois trop que mon cœur ne l’a point écoutée.
Lève-toi ; ta douleur commence à m’attendrir,

(Elle se relève.)
Et le cœur de ton père attend ton repentir.

Tu sais si dans ce cœur, trop indulgent, trop tendre,
Les cris de la nature ont su se faire entendre.
Je vivais dans toi seule ; et jusques à ce jour
Jamais père à son sang n’a marqué plus d’amour.
Tu sais si j’attendais qu’au bout de ma carrière
Ma bouche en expirant nommât mon héritière.
Et cédât, malgré moi, par des soins superflus.
Ce qui dans ces moments ne nous appartient plus.
Je n’ai que trop vécu : ma prodigue tendresse
Prévenait par ses dons ma caduque vieillesse ;
Je te donnais pour dot, en engageant ta foi,
Ces trésors, ces États, que je quittais pour toi.
Et tu pouvais choisir entre les plus grands princes
Qui des bords syriens gouvernent les provinces :
Et c’est dans ces moments que, fuyant de mes bras,
Toi seule à la révolte excites mes soldats.
M’arraches mes sujets, m’enlèves mes esclaves.
Outrages mes vieux ans, m’abandonnes, me braves I
Quel démon t’a conduite à cet excès d’horreur ?
Quel monstre a corrompu les vertus de ton cœur ?
Veux-tu ravir un rang que je te sacrifie ?
Veux-tu me dépouiller de ce reste de vie ?
Ah ! Zulime ! ah, mon sang ! par tant de cruauté
Veux-tu punir ainsi l’excès de ma bonté ?

zulime.

Seigneur, mon souverain, j’ose dire mon père.
Je vous aime encor plus que je ne vous fus chère.
Régnez, vivez heureux, ne vous consumez plus