Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/255

Cette page n’a pas encore été corrigée

À côté de son maître il le jette sans vie. 
Le tyran se relève : il blesse le héros ;
De leur sang confondu j'ai vu couler les flots.
Déjà la garde accourt avec des cris de rage.
Sa mère... ah ! Que l'amour inspire de courage !
Quel transport animait ses efforts et ses pas ! 
Sa mère... elle s'élance au milieu des soldats.
« C'est mon fils ! Arrêtez, cessez, troupe inhumaine !
C'est mon fils, déchirez sa mère et votre reine,
Ce sein qui l'a nourri, ces flancs qui l'ont porté ! »
À ces cris douloureux le peuple est agité ;
Une foule d'amis, que son danger excite,
Entre elle et ces soldats vole et se précipite.
Vous eussiez vu soudain les autels renversés,
Dans des ruisseaux de sang leurs débris dispersés ;
Les enfants écrasés dans les bras de leurs mères ; 
Les frères méconnus immolés par leurs frères ;
Soldats, prêtres, amis, l'un sur l'autre expirants :
On marche, on est porté sur les corps des mourants,
On veut fuir, on revient ; et la foule pressée
D'un bout du temple à l'autre est vingt fois repoussée. 
De ces flots confondus le flux impétueux
Roule, et dérobe Égisthe et la reine à mes yeux.
Parmi les combattants je vole ensanglantée ;
J'interroge à grands cris la foule épouvantée.
Tout ce qu'on me répond redouble mon horreur.  
On s'écrie : « Il est mort, il tombe, il est vainqueur. »
Je cours, je me consume, et le peuple m'entraîne,
Me jette en ce palais, éplorée, incertaine,
Au milieu des mourants, des morts, et des débris.
Venez, suivez mes pas, joignez-vous à mes cris : 
Venez. J'ignore encor si la reine est sauvée,
Si de son digne fils la vie est conservée,
Si le tyran n'est plus. Le trouble, la terreur,
Tout ce désordre horrible est encor dans mon coeur.

Narbas

Arbitre des humains, divine providence, 
Achève ton ouvrage, et soutiens l'innocence :
À nos malheurs passés mesure tes bienfaits ;
Ô ciel ! Conserve Égisthe, et que je meure en paix !
Ah ! Parmi ces soldats ne vois-je point la reine ?