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AVERTISSEMENT.

490 à M. SCIPION MAFFEI.

le caractère de chaque peintre ; c’est une espèce de concours qui sert à la fois à perfectionner Tart, et à augmenter les lumières du public.

Si la Mérope française a eu le même succès que la Mérope italienne, c’est à vous, monsieur, que je le dois ; c’est à cette simplicité dont j’ai toujours été idolâtre, qui, dans votre ouvrage, m’a servi de modèle. Si j’ai marché dans une route différente, vous m’y avez toujours servi de guide.

J’aurais souhaité pouvoir, à l’exemple des Italiens et des Anglais, employer l’heureuse facilité des vers blancs, et je me suis souvenu plus d’une fois de ce passage de Rucellai :

Tu sai pur che y imagin délia voce

Che risponde dai sassi, oy’Eco alberga, Sempre nemica fu del nostro regno,

E fu inventrice délie prime rime.

Mais je me suis aperçu, et j’ai dit, il y a longtemps*, qu’une telle tentative n’aurait jamais de succès en France, et qu’il y aurait beaucoup plus de faiblesse que de force à éluder un joug qu’ont porté les auteurs de tant d’ouvrages qui dureront autant que la nation française. Notre poésie n’a aucune des libertés de la vôtre, et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles les Italiens nous ont précédés de plus de trois siècles dans cet art si aimable et si difficile.

Je voudrais, monsieur, pouvoir vous suivre dans vos autres connaissances, comme j’ai eu le bonheur de vous imiter dans la tragédie. Que n’ai-je pu me former sur votre goût dans la science de l’histoire ! non pas dans cette science vague et stérile des faits et des dates, qui se borne à savoir en quel temps mourut un homme inutile ou funeste au monde ; science uniquement de dictionnaire, qui chargerait la mémoire sans éclairer l’esprit : je veux parler de cette histoire de l’esprit humain, qui apprend à connaître les mœurs, qui nous trace, de faute en faute et de préjugé en préjugé, les effets des passions des hommes ; qui nous fait voir ce que l’ignorance ou un savoir mal entendu ont causé de maux, et qui suit surtout le fil du progrès des arts, à travers ce choc effroyable de tant de puissances, et ce bouleversement de tant d’empirer.

1. Voltaire veut sans doute parler ici de ce qu*il disait, en 1730, sur la rime, dans sa seconde préface d’OEdipe : voyez Théâtre, tome P^ page 55.