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AVERTISSEMENT.

A M. SCIPION MAFFEI. 489

Gomment pourrais-je encore faire parler souvent ensemble des personnages subalternes ? Ils servent chez vous à préparer des scènes intéressantes entre les principaux acteurs ; ce sont les avenues d’un beau palais : mais notre public impatient veut entrer tout d’un coup dans le palais. Il faut donc se plier au goût d’une nation, d’autant plus difficile qu’elle est depuis longtemps rassasiée de chefs-d’œuvre.

Cependant, parmi tant de détails que notre extrême sévérité réprouve, combien de beautés je regrettais ! combien me plaisait la simple nature, quoique sous une forme étrangère pour nous ! Je vous rends compte, monsieur, d’une partie des raisons qui m’ont empêché de vous suivre*, en vous admirant.

Je fus obligé, à regret, d’écrire une Mèrope nouvelle ; je l’ai donc faite différemment, mais je suis bien loin de croire l’avoir mieux faite. Je me regarde avec vous comme un voyageur à qui un roi d’Orient aurait fait présent des plus riches étoffes : ce roi devrait permettre que le voyageur s’en fît habiller à la mode de son pays.

Ma Mèrope fut achevée au commencement de 1736*, à peu près telle qu’elle est aujourd’hui. D’autres études m’empêchèrent de la donner au théâtre ; mais la raison qui m’en éloignait le plus était la crainte de la faire paraître après d’autres pièces heureuses, dans lesquelles on avait vu depuis peu le même sujet sous des noms différents. Enfin, j’ai hasardé ma tragédie, et notre nation a fait connaître qu’elle ne dédaignait pas de voir la même matière différemment traitée. Il est arrivé à notre théâtre ce qu’on voit tous les jours dans une galerie de peinture, où plusieurs tableaux représentent le même sujet : les connaisseurs se plaisent à remarquer les diverses manières ; chacun saisit, selon son goût,

1. M de Voltairo ne s’était d*abord proposé que de traduire la Mèrope italienne ; il a ?ait même commencé cette traduction, dont voici les premiers vers :

Sortez, il on est temps, du sein de ces ténèbres : Montroz-vous ; dépouillez ces vêtements funèbres, Ces tristes monuments, l’appareil dos douleurs : Que le bandeau des rois puisse essuyer vos pleurs ; Que dans ce jour heureux les peuples de Mossènc Reconnaissent dans vous mon épouse et leur reine. Oubliez tout le reste, et daignez accepter Bt le sceptre et la main qu’on vient vous présenter.

— Cette note a été ajoutée, en 1802, dans Tédition stéréotype de MM. Didot. (B).

2. Un éditeur récent, au lieu de 1736 que portent toutes les éditions, a mis 1739. Ijh restriction que contient la phrase de Voltaire rend, ce me semble, inutile cette correction. (B.)