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AVERTISSEMENT.

Voltaire présenta sa Mérope, qui fut jugée ce qu’elle est en effet : un chef-d’œuvre. Elle fut donc acceptée, et, lorsque Clément rapporta la sienne avec les changements qu’on lui avait demandés, les comédiens la refusèrent à cause de sa ressemblance avec celle de Voltaire. Cette Mérope, de P. Clément, fut imprimée en 1749, et c’est l’auteur qui nous instruit de ces circonstances dans son Avertissement.

Mérope est un des grands sujets dramatiques que la tradition grecque nous a légués. Cette donnée célèbre a eu chez toutes les nations modernes, et particulièrement chez nous, des destinées que Voltaire a indiquées dans sa lettre au marquis de Maffei.

Ce qui importe le plus, à notre avis, c’est de jeter un regard sur les faits historiques ou mythologiques qui ont servi de fondement au drame. Maffei les résume de la manière suivante dans la dédicace de sa pièce :

« Quelque temps après la prise de Troie, les Héraclides, c’est-à-dire les descendants d’Hercule, ayant rétabli leur domination dans le Péloponèse, le sort assigna à Cresphonte le territoire de la Messénie. L’épouse de ce Cresphonte s’appelait Mérope. Cresphonte, s’étant montré trop favorable au peuple, fut assassiné par l’aristocratie, ainsi que ses fils, à l’exception du plus jeune, qui était élevé hors du pays chez un parent de sa mère. Ce dernier fils, nommé Œpytus, lorsqu’il fut devenu grand, se remit en possession du royaume de son père avec des Arcadiens et des Doriens, et vengea la mort de son père sur ses meurtriers. » — Voilà ce que raconte Pausanias.

Lorsque Cresphonte eut été assassiné avec ses deux fils, Polyphonte, qui était aussi du sang des Héraclides, s’empara du gouvernement ; il contraignit Mérope à l’épouser. Mais le troisième fils de Cresphonte, que sa mère avait fait mettre en sûreté, tua plus tard le tyran et reprit la royauté. » — Voilà ce que rapporte Apollodore.

« Mérope fut sur le point de tuer, sans le connaître, ce fils échappé au massacre ; mais elle en fut empêchée à temps par un vieux serviteur, qui lui découvrit que c’était son propre fils qu’elle prenait pour le meurtrier de ce même fils. Celui-ci, enfin reconnu, trouva, dans un sacrifice, l’occasion de tuer Polyphonte. » — Voilà ce que nous apprend Hygin, chez qui Œpytus porte le nom de Téléphonte.

« Il serait surprenant, ajoute Lessing[1], qu’une aventure qui présente des péripéties et des reconnaissances si singulières n’eût pas été déjà mise à profit par les tragiques de l’antiquité. Comment ne l’aurait-elle pas été ? Aristote, dans sa Poétique, parle d’un Cresphonte, où Mérope reconnaît son fils à l’instant même où elle allait le tuer, le prenant pour le meurtrier de ce même fils ; et Plutarque, dans son second livre sur l’Usage des viandes, fait sans aucun doute allusion à cette même pièce lorsqu’il rappelle l’émotion qui s’emparait de tout l’amphithéâtre au moment où Mérope levait la hache sur son fils : tous les spectateurs, dit-il, tremblaient de peur que le coup ne fût porté avant que le vieux serviteur arrivât. Aristote mentionne, il est

  1. Dramaturgie de Hambourg, 38e soirée.