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Omar.

Je voulus le punir quand mon peu de lumière
Méconnut ce grand homme entré dans la carrière :
Mais enfin, quand j’ai vu que Mahomet est né
Pour changer l’univers à ses pieds consterné ;
Quand mes yeux, éclairés du feu de son génie,
Le virent s’élever dans sa course infinie ;
Éloquent, intrépide, admirable en tout lieu,
Agir, parler, punir, ou pardonner en dieu ;
J’associai ma vie à ses travaux immenses :
Des trônes, des autels en sont les récompenses.
Je fus, je te l’avoue, aveugle comme toi.
Ouvre les yeux, Zopire, et change ainsi que moi ;
Et, sans plus me vanter les fureurs de ton zèle,
Ta persécution si vaine et si cruelle,
Nos frères gémissants, notre dieu blasphémé,
Tombe aux pieds d’un héros par toi-même opprimé.
Viens baiser cette main qui porte le tonnerre.
Tu me vois après lui le premier de la terre ;
Le poste qui te reste est encore assez beau
Pour fléchir noblement sous ce maître nouveau.
Vois ce que nous étions, et vois ce que nous sommes.
Le peuple, aveugle et faible, est né pour les grands hommes,
Pour admirer, pour croire, et pour nous obéir.
Viens régner avec nous, si tu crains de servir ;
Partage nos grandeurs au lieu de t’y soustraire ;
Et, las de l’imiter, fais trembler le vulgaire.

Zopire.

Ce n’est qu’à Mahomet, à ses pareils, à toi,
Que je prétends, Omar, inspirer quelque effroi.
Tu veux que du sénat le shérif infidèle
Encense un imposteur, et couronne un rebelle !
Je ne te nierai point que ce fier séducteur
N’ait beaucoup de prudence et beaucoup de valeur :
Je connais comme toi les talents de ton maître ;
S’il était vertueux, c’est un héros peut-être :
Mais ce héros, Omar, est un traître, un cruel,
Et de tous les tyrans c’est le plus criminel.
Cesse de m’annoncer sa trompeuse clémence ;
Le grand art qu’il possède est l’art de la vengeance.
Dans le cours de la guerre un funeste destin
Le priva de son fils que fit périr ma main.