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Que dis-je ? En ces murs même une troupe égarée,
Des poisons de l’erreur avec zèle enivrée,
De ses miracles faux soutient l’illusion,
Répand le fanatisme et la sédition,
Appelle son armée, et croit qu’un Dieu terrible
L’inspire, le conduit, et le rend invincible.
Tous nos vrais citoyens avec vous sont unis ;
Mais les meilleurs conseils sont-ils toujours suivis ?
L’amour des nouveautés, le faux zèle, la crainte,
De la Mecque alarmée ont désolé l’enceinte ;
Et ce peuple, en tout temps chargé de vos bienfaits,
Crie encore à son père, et demande la paix.

Zopire.

La paix avec ce traître ! Ah ! Peuple sans courage,
N’en attendez jamais qu’un horrible esclavage :
Allez, portez en pompe, et servez à genoux
L’idole dont le poids va vous écraser tous.
Moi, je garde à ce fourbe une haine éternelle ;
De mon cœur ulcéré la plaie est trop cruelle :
Lui-même a contre moi trop de ressentiments.
Le cruel fit périr ma femme et mes enfants :
Et moi, jusqu’en son camp j’ai porté le carnage ;
La mort de son fils même honora mon courage.
Les flambeaux de la haine entre nous allumés
Jamais des mains du temps ne seront consumés.

Phanor.

Ne les éteignez point, mais cachez-en la flamme ;
Immolez au public les douleurs de votre âme.
Quand vous verrez ces lieux par ses mains ravagés,
Vos malheureux enfants seront-ils mieux vengés ?
Vous avez tout perdu, fils, frère, épouse, fille ;
Ne perdez point l’État : c’est là votre famille.

Zopire.

On ne perd les États que par timidité.

Phanor.

On périt quelquefois par trop de fermeté.

Zopire.

Périssons, s’il le faut.

Phanor.

Périssons, s’il le faut.Ah ! Quel triste courage,
Quand vous touchez au port, vous expose au naufrage ?
Le ciel, vous le voyez, a remis en vos mains