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À
MADEMOISELLE CLAIRON^^1


Cette tragédie vous appartient, mademoiselle^^2 ; vous l’avez fait supporter au théâtre. Les talents comme les vôtres ont un avantage assez unique, c’est celui de ressusciter les morts : c’est ce qui vous est arrivé quelquefois. Il faut avouer que, ’sans les grands acteurs, une pièce de théâtre est sans vie ; c’est vous qui lui donnez l’âme. La tragédie est encore plus faite pour être représentée que pour être lue ; et c’est sur quoi je prendrai la liberté de dire qu’il est bien singulier qu’un ouvrage qui est innocent à la lecture puisse devenir coupable aux yeux de certaines gens, en acquérant le mérite qui lui est propre, celui de paraître sur le théâtre. On ne comprendra pas un jour qu’on ait pu faire des reproches à M** de Ghampmélé de jouer Chimène, lorsque Augustin Courbé et Mabre Cramoisy qui l’imprimaient, étaient marguilliers de leur paroisse ; et l’on jouera peut-être un jour sur le théâtre ces contradictions de nos mœurs.

Je n’ai jamais conçu qu’un jeune homme qui réciterait en public une Philippique de Cicéron dût déplaire mortellement à certaines personnes qui prétendent lire avec un plaisir extrême les injures grossières que ce Cicéron dit éloquemment à Marc-Antoine. Je ne vois pas non plus qu’il y ait un grand mal à pro-

1. Dans sa lettre à d’Argental, du 6 février 1763, Voltaire appelle ce morceau une Préface ; il aurait pu l*appeler une Dédicace.

Dans presque toutes les éditions, avant la Dédicace à Mlle Clairon, on a imprimé, comme Extrait d’une lettre, les quatre premiers alinéas de la lettre à M. de La Place, du 23 juin 1761. (B.)

2. Mlle Clairon Delatude, née en 1722, était la fille d’une pauvre ouvrière. Elle débuta en 1743 à la Comédie-Française, d*où elle se retira en 1766, après s’être vue jetée en prison de par l’arbitraire que subissaient les comédiens. Elle vécut depuis en Allemagne à la cour du margrave d’Anspach ; puis elle revint mourir à Paris en 1803, à l’âge de quatre-vingt-un ans. Elle était, comme Lekain, élève de Voltaire. (G. A.)