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la terre cent fois plus à plaindre que le roi Charles-Édouard, l’empereur Ivan, et le sultan Achmet. Cela pourrait bien être, dit Candide.

On arriva en peu de jours sur le canal de la mer Noire. Candide commença par racheter Cacambo fort cher ; et, sans perdre de temps, il se jeta dans une galère, avec ses compagnons, pour aller sur le rivage de la Propontide chercher Cunégonde, quelque laide qu’elle pût être.

Il y avait dans la chiourme deux forçats qui ramaient fort mal, et à qui le levanti patron appliquait de temps en temps quelques coups de nerf de bœuf sur leurs épaules nues ; Candide, par un mouvement naturel, les regarda plus attentivement que les autres galériens, et s’approcha d’eux avec pitié. Quelques traits de leurs visages défigurés lui parurent avoir un peu de ressemblance avec Pangloss et avec ce malheureux jésuite, ce baron, ce frère de mademoiselle Cunégonde. Cette idée l’émut et l’attrista. Il les considéra encore plus attentivement. En vérité, dit-il à Cacambo, si je n’avais pas vu pendre maître Pangloss, et si je n’avais pas eu le malheur de tuer le baron, je croirais que ce sont eux qui rament dans cette galère.

Au nom du baron et de Pangloss les deux forçats poussèrent un grand cri, s’arrêtèrent sur leur banc, et laissèrent tomber leurs rames. Le levanti patron accourait sur eux, et les coups de nerf de bœuf redoublaient. Arrêtez ! arrêtez ! seigneur, s’écria Candide ; je vous donnerai tant, d’argent que vous voudrez. Quoi ! c’est Candide ! disait l’un des forçats ; quoi ! c’est Candide ! disait l’autre. Est-ce un songe ? dit Candide ;