Le maître de Cacambo prit alors gravement la parole, et dit en italien : Je ne suis point plaisant, je m’appelle Achmet III[1] ; j’ai été grand-sultan plusieurs années ; je détrônai mon frère ; mon neveu m’a détrôné ; on a coupé le cou à mes vizirs ; j’achève ma vie dans le vieux sérail ; mon neveu le grand-sultan Mahmoud me permet de voyager quelquefois pour ma santé ; et je suis venu passer le carnaval à Venise.
Un jeune homme qui était auprès d’Achmet parla après lui, et dit : Je m’appelle Ivan[2] ; j’ai été empereur de toutes les Russies ; j’ai été détrôné au berceau ; mon père et ma mère ont été enfermés ; on m’a élevé en prison ; j’ai quelquefois la permission de voyager, accompagné de ceux qui me gardent ; et je suis venu passer le carnaval à Venise.
Le troisième dit : Je suis Charles-Édouard[3], roi d’Angleterre ; mon père m’a cédé ses droits au royaume ; j’ai combattu pour les soutenir ; on a arraché le cœur à huit cents de mes partisans, et on leur en a battu les joues ; j’ai été mis en prison ; je vais à Rome faire une visite au roi mon père, détrôné ainsi que moi et mon grand-père ; et je suis venu passer le carnaval à Venise.
Le quatrième prit alors la parole et dit : Je suis roi
- ↑ Achmet III, dont il est parlé dans l’Histoire de Charles XII et dans l’Histoire de Russie sous Pierre-le-Grand, avait été déposé en 1730 ; il est mort en 1736. B.
- ↑ Ivan, né en 1730, détrôné la même année, emprisonné, et enfin poignardé en 1762. B,
- ↑ Sur Charles-Edouard, voyez, tome XXI, le chapitre XXXV du Précis du Siècle de Louis XV. B.