Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voulurent nous prendre par famine. Les vingt janissaires avaient juré de ne se jamais rendre. Les extrémités de la faim où ils furent réduits les contraignirent à manger nos deux eunuques, de peur de violer leur serment. Au bout de quelques jours ils résolurent de manger les femmes.

Nous avions un iman très pieux et très compatissant, qui leur fit un beau sermon par lequel il leur persuada de ne nous pas tuer tout-à-fait. Coupez, dit-il, seulement une fesse à chacune de ces dames, vous ferez très bonne chère ; s’il faut y revenir, vous en aurez encore autant dans quelques jours ; le ciel vous saura gré d’une action si charitable, et vous serez secourus.

Il avait beaucoup d’éloquence ; il les persuada : on nous fit cette horrible opération ; l’iman nous appliqua le même baume qu’on met aux enfants qu’on vient de circoncire : nous étions toutes à la mort.

À peine les janissaires eurent-ils fait le repas que nous leur avions fourni, que les Russes arrivent sur des bateaux plats ; pas un janissaire ne réchappa. Les Russes ne firent aucune attention à l’état où nous étions. Il y a partout des chirurgiens français : un d’eux qui était fort adroit prit soin de nous, il nous guérit ; et je me souviendrai toute ma vie, que quand mes plaies furent bien fermées, il me fit des propositions. Au reste, il nous dit à toutes de nous consoler ; il nous assura que dans plusieurs sièges pareille chose était arrivée, et que c’était la loi de la guerre.

Dès que mes compagnes purent marcher, on les fit aller à Moscou ; j’échus en partage à un boïard qui me