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menton, et je n’ai pas toujours été servante. Je suis la fille du pape Urbain X et de la princesse de Palestrine[1]. On m’éleva jusqu’à quatorze ans dans un palais auquel tous les châteaux de vos barons allemands n’auraient pas servi d’écurie ; et une de mes robes valait mieux que toutes les magnificences de la Vestphalie. Je croissais en beauté, en grâces, en talents, au milieu des plaisirs, des respects, et des espérances : j’inspirais déjà de l’amour ; ma gorge se formait ; et quelle gorge ! blanche, ferme, taillée comme celle de la Vénus de Médicis ; et quels yeux ! quelles paupières ! quels sourcils noirs ! quelles flammes brillaient dans mes deux prunelles, et effaçaient la scintillation des étoiles ! comme me disaient les poètes du quartier. Les femmes qui m’habillaient et qui me déshabillaient tombaient en extase en me regardant par-devant et par-derrière ; et tous les hommes auraient voulu être à leur place.

Je fus fiancée à un prince souverain de Massa-Carrara : quel prince ! aussi beau que moi, pétri de douceur et d’agréments, brillant d’esprit et brûlant d’amour ; je l’aimais comme on aime pour la première fois, avec idolâtrie, avec emportement. Les noces furent préparées : c’était une pompe, une magnificence inouïe ; c’étaient des fêtes, des carrousels, des opéra-buffa

  1. Voyez l’extrême discrétion de l’auteur ; il n’y eut jusqu’à présent aucun pape nommé Urbain X ; il craint de donner une bâtarde à un pape connu. Quelle circonspection ! quelle délicatesse de conscience ! --Cette note de Voltaire est posthume. Elle n’était même pas dans les éditions de Kehl. Je la tiens de feu Décrois. Le dernier pape du nom d’Urbain est Urbain VIII, mort en 1644. B.