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LES RUINES.

subi un jugement préalable qui décidât si le mort méritait d’être admis au rang de sa famille dans la noire cité. Une telle idée s’adaptait trop bien à toutes les autres pour ne pas s’y incorporer ; le peuple ne tarda pas à l’y associer, et les enfers eurent leur Minos et leur Rhadamanthe, avec la baguette, le siège, les huissiers et l’urne, comme dans l’état terrestre et civil. Alors la divinité devint un être moral et politique, un législateur social d’autant plus redouté, que ce législateur suprême, ce juge final, fut inaccessible aux regards : alors ce monde fabuleux et mythologique, si bizarrement composé de membres épars, se trouva un lieu de châtiment et de récompense, où la justice divine fut censée corriger ce que celle des hommes eut de vicieux, d’erroné ; et ce système spirituel et mystique acquit d’autant plus de crédit, qu’il s’empara de l’homme par tous ses penchants : le faible opprimé y trouva l’espoir d’une indemnité, la consolation d’une vengeance future : l’oppresseur comptant, par de riches offrandes, arriver toujours à l’impunité, se fit de l’erreur du vulgaire une arme de plus pour le subjuguer ; et les chefs des peuples, les rois et les prêtres, y virent de nouveaux moyens de le maîtriser, par le privilège qu’ils se réservèrent de répartir les grâces ou les châtiments du grand juge, selon des délits ou des actions méritoires qu’ils caractérisèrent à leur gré.