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CHAPITRE XIII.

qu’il naît avec un usage éclairé de ses sens ; qu’il sait, sans expérience, distinguer du poison l’aliment ; que l’enfant est plus sage que le vieillard, l’aveugle plus assuré dans sa marche que le clairvoyant ; que l’homme civilisé est plus malheureux qu’anthropophage ; en un mot, qu’il n’existe pas d’échelle progressive d’expérience et d’instruction.

« Jeune homme, crois-en la voix des tombeaux et le témoignage des monuments : des contrées sans doute ont déchu de ce qu’elles furent à certaines époques ; mais si l’esprit sondait ce qu’alors même furent la sagesse et la félicité de leurs habitants, il trouverait qu’il y eut dans leur gloire moins de réalité que d’éclat ; il verrait que dans les anciens États, même les plus vantés, il y eut d’énormes vices, de cruels abus, d’où résulta précisément leur fragilité ; qu’en général les principes des gouvernements étaient atroces ; qu’il régnait de peuple à peuple un brigandage insolent, des guerres barbares ; des haines implacables ; que le droit naturel était ignoré ; que la moralité était pervertie par un fanatisme insensé, par des superstitions déplorables : qu’un songe, qu’une vision, un oracle, causaient à chaque instant de vastes commotions : et peut-être les nations ne sont-elles pas encore bien guéries de tant de maux ; mais du moins l’intensité en a diminué, et l’expérience du passé n’a pas été totalement perdue.