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CHAPITRE XII.

oppresseurs et s’établiront à leur place ; mais, succédant à leur pouvoir, ils succéderont à leur rapacité, et la terre aura changé de tyrans sans changer de tyrannie. »

Alors me tournant vers le Génie : « Ô Génie ! lui dis-je, le désespoir est descendu dans mon ame : en connaissant la nature de l’homme, la perversité de ceux qui gouvernent et l’avilissement de ceux qui sont gouvernés, m’ont dégoûté de la vie ; et quand il n’est de choix que d’être complice ou victime de l’oppression, que reste-t-il à l’homme vertueux, que de joindre sa cendre à celle des tombeaux ! »

Et le Génie, gardant le silence, me fixa d’un regard sévère mêlé de compassion ; et, après quelques instants, il reprit : « Ainsi, c’est à mourir que la vertu réside ! L’homme pervers est infatigable à consommer le crime, et l’homme juste se rebute au premier obstacle à faire le bien !… Mais tel est le cœur humain : un succès l’enivre de confiance, un revers l’abat et le consterne : toujours entier à la sensation du moment, il ne juge point des choses par leur nature, mais par l’élan de sa passion. Homme qui désespères du genre humain, sur quel calcul profond de faits et de raisonnements as-tu établi ta sentence ? As-tu scruté l’organisation de l’être sensible, pour déterminer avec précision si les mobiles qui le portent au bonheur sont essentiellement plus faibles que ceux qui l’en re-