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propos de l’orthographe : les uns étaient pour le système étymologique ; les autres voulaient conformer l’orthographe « au commun parler », nous dit Pasquier dans sa lettre à M. de Turnèbe[1] ; quelques-uns, enfin, prétendaient tout bouleverser, et employaient toutes les ressources de leur intelligence à inventer et à vouloir faire admettre les procédés d’écriture les plus étranges et les plus compliqués[2].

Ici, comme en tout, Montaigne s’est gardé de tomber dans l’excès ; il ne s’est pas plus inquiété du système de Ramus, qu’il n’a adopté celui de son ami Jacques Peletier ; il est reste lui-même[3], toujours fidèle à la coutume et à sa maxime : l. I, ch. xxv, son « parler est aussi simple, aussi naïf sur le papier qu’à la bouche ; » pour lui les lettres ne représentent que des sons servant à communiquer la pensée. Aussi le système phonétique semble-t-il avoir eu toutes ses préférences. Pourtant il n’y a pas lieu de s’étonner si, chez lui, les mots ne sont pas constamment orthographiés de la même façon ; notre auteur écrivait au jour le jour ; puis il usait de la liberté du temps ; l’uniformité dans l’orthographe n’était pas encore devenue règle absolue. Enfin, voyageant sans cesse (car il aimait beaucoup les voyages (voir l. III, ch. ix), tantôt à Paris, tantôt à Montaigne, quelquefois à Bordeaux, il parlait et s’exprimait un peu suivant les endroits où il se rencontrait : « J’ay une condition singeresse et imitatrice, » dit-il (l. III, ch. v) ; aussi on ne doit pas s’étonner si, comme il nous l’apprend quelques lignes plus bas, il « parle à Paris un langage aucunement autre qu’à Montaigne. » — « Qui que je regarde avec attention m’imprime facilement quelque chose du sien » (ibid.). — De là vient qu’il écrit les mots tantôt à la façon des pays du midi (Languedoc, Périgord, Angoumois, parfois Bordelais), tantôt à la manière des gens de Paris. Quoi qu’il en soit, la simplicité est ce qui caractérise son orthographe.

  1. Lettre 2e du livre Ier (édit. Feugère).
  2. Voir Livet (grammairiens du xvie siècle, Dubois, Meigret, Peletier, Ramus, Pilot, etc…, passim).
  3. « Je ne me mesle ny d’orthografe, et ordonne seulement qu’ils suivent l’ancienne… » (III, 9.)