États, au mois de juin, il était venu à Paris surveiller l’impression de son édition de 1588, et dans cette édition il nous dit : « Je corrigerois bien une erreur accidentale, de quoy je suis plain, mais les imperfections qui sont en moy ordinaires et constantes, ce seroit trahison de les oster ». « Quand on m’a dit, ou que moy mesme me suis dit : « Tu es trop espais en figures : Voilà un mot du cru de Gascoingne : Voilà une phrase dangereuse… Ouy, fais-je ; mais est-ce pas ainsi que je parle par tout ? Me représenté je pas vivement ? Suffit. J’ay faict ce que j’ai voulu : tout le monde me reconnoît en mon livre, et mon livre en moy » (III, 5). Qui pourrait blâmer Montaigne d’avoir voulu rester lui-même ? En corrigeant son livre, il aurait pu lui enlever cette saveur, ces encoignures parfois âpres et dures qui en font le charme et l’originalité. D’abord la comparaison des Essais avec les écrits du xve et ceux du xvie siècle, empêchent d’accepter, en bien des points, les critiques de Pasquier. Si l’on considère les mots dont s’est servi Montaigne, on remarque qu’il a emprunté au cru de Gascogne beaucoup moins qu’on ne pourrait le croire, et même qu’il n’a pas mis plus à contribution le gascon que les dialectes des provinces voisines ; il a pris également au languedocien, au limousin, à l’angoumoisin, encore n’a-t-il tiré de ces idiomes qu’une vingtaine de mots que seul il a employés, et qu’on ne trouve pas chez les autres écrivains, ses contemporains. Il y a loin de là à prétendre qu’il a parlé gascon en français.
La syntaxe présente encore moins de particularités dialectales : si le substantif debie est généralement féminin au xvie siècle, Montaigne hésitant entre l’usage antique et la mode du jour, le fait des deux genres, et non seulement du masculin comme le lui reproche Pasquier. Pour rencontre, le masculin n’est pas un genre particulier au gascon, ce nom est du masculin dans l’ancienne langue, par exemple dans Froissard. Aussi Pasquier se serait, je crois, exprimé plus justement en blâmant son ami d’aimer les formes archaïques, car le verbe jouir, à la forme transitive, n’est pas non plus un gasconisme, comme il le prétend, c’est bien plutôt un archaïsme qui a été en usage même chez les vieux écrivains de la langue d’oïl.
Une étude attentive des Essais permet donc de constater que Montaigne n’a emprunté aux dialectes provinciaux que quand l’expression française lui a fait défaut, et c’est un emprunt auquel il