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mais sa richesse lui tenoit lieu de charmes : elle achetoit ses Amans, et n’avoit d’autre arithmétique que le calcul de son plaisir ; elle le payoit selon le temps qu’elle se goûtoit ; elle ne donnoit jamais que des à-compte, et Potiron avoit été fait à l’heure.

Il avoit la tête monstrueuse, et jamais rien dedans ; ses jambes étoient aussi courtes que ses idées ; de façon que, soit en marchant, soit en pensant, il demeuroit toujours en chemin ; mais comme il avoit ouï dire que les gens d’esprit font des sottises et n’en disent guere, il voulut trancher de l’homme d’esprit ; il résolut de se marier.

Madame sa mere, la Fée Rancune, rêva longtemps pour savoir à quelle famille elle donneroit la préférence de ce fléau, et son choix s’arrêta sur la Princesse Tricolore, fille de la Reine des Patagons. Cette Reine méprisoit son mari et ne se soucioit pas de ses enfans, faisoit grand cas de l’amour et peu de ses Amans : elle avoit plus de sensations que de sentimens ; elle étoit heureusement née. Un an après son mariage,elle mit au jour un Prince qui promettoit beaucoup. Il s’éleva dans le Conseil une grande discussion au sujet de son éducation. Le Roi prétendoit qu’à titre d’étranger, il avoit le droit de mettre son fils au College des Quatre-Nations. La Reine s’