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rent qu’il avait succombé la veille à une courte maladie. Nous nous rendîmes à son domicile pour assister aux prières que l’Église russe célèbre deux fois par jour sur les restes de ses enfants, depuis l’heure où ils ont fermé les yeux jusqu’à celle de l’ensevelissement. Féodor Michaïlovitch habitait une maison de la ruelle des Forgerons, dans un quartier populaire de Saint-Pétersbourg. Nous trouvâmes une foule compacte devant la porte et sur les degrés de l’escalier ; à grand-peine nous nous frayâmes un passage jusqu’au cabinet de travail où l’écrivain prenait son premier repos ; pièce modeste, jonchée de papiers en désordre et remplie par les visiteurs qui se succédaient autour du cercueil.

Il reposait sur une petite table, dans le seul coin de la chambre laissé libre par les envahisseurs inconnus. Pour la première fois, je vis la paix sur ces traits, libérés de leur voile de souffrance ; ils ne gardaient plus que de la pensée sans douleur et semblaient enfin heureux d’un bon rêve, sous les roses amoncelées ; elles disparurent vite, la foule se partagea ces reliques de fleurs. Cette foule augmentait à chaque minute, les femmes en pleurs, les hommes bruyants et avides de voir, s’écrasant par de brusques remous. Une température étouffante régnait dans la chambre, hermétiquement close comme le sont les pièces russes en hiver. Tout à coup, l’air manquant, les nombreux cierges qui brûlaient vacillèrent et s’éteignirent ; il ne resta que la lumière incertaine de la petite lampe appendue devant les images saintes. À ce moment, à la faveur de l’obscurité, une poussée formidable partit de l’escalier, apportant un nouveau flot de peuple ; il sembla que toute la rue montait ; les premiers