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semblable. Dans cette encyclopédie, qui fut la grande affaire de ses dernières années, Féodor Michaïlovitch déversait toutes les idées politiques, sociales et littéraires qui le tourmentaient, il racontait des anecdotes et des souvenirs de sa vie. J’ignore s’il a pensé aux Paroles d’un croyant de Lamennais : mais il y fait souvent penser. J’ai déjà dit ce qu’était sa politique : un acte de foi perpétuel dans les destinées de la Russie, une glorification de la bonté et de l’intelligence du peuple russe. Ces hymnes obscurs échappent à l’analyse comme à la controverse.

Commencé à la veille de la guerre de Turquie, le Carnet d’un écrivain ne parut avec quelque régularité que durant ces années de fièvre patriotique ; il reflète les accès d’enthousiasme et de découragement qui secouaient la Russie en armes. Je ne sais pas ce qu’on ne trouverait pas dans cette Somme des rêves slaves, où toutes les questions humaines sont remuées. Il n’y manque qu’une seule chose, un corps de doctrines où l’esprit puisse se prendre. Çà et là, des épisodes touchants, des récits menés avec art, perles perdues dans ces vagues troubles, rappellent le grand romancier. Le Carnet d’un écrivain réussit auprès du public spécial qui s’était attaché moins aux idées qu’à la personne et pour ainsi dire au son de voix de Féodor Michaïlovitch. Entre-temps, il composait son dernier livre, les Frères Karamazof. Je n’ai pas parlé d’un roman intitulé Croissance, publié après les Possédés pour continuer l’étude du mouvement contemporain, fort inférieur à ses aînés, et dont le succès fut médiocre. Je ne m’arrêterai pas davantage aux Frères Karamazof. De l’aveu commun, très-peu de Russes ont