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« On frappa à la porte pour appeler le fonctionnaire, on lui donna avis. Un gardien entra, regarda le mort d’un air hébété et alla chercher l’officier de santé. Celui-ci vint aussitôt. C’était un jeune et brave garçon, un peu trop occupé de son extérieur, qui était d’ailleurs agréable ; il s’approcha du défunt d’un pas rapide, sonore dans la chambre silencieuse ; avec un air d’indifférence qui semblait composé pour la circonstance, il prit le pouls, le tâta, fit un geste signifiant que tout était fini, et sortit. On alla aussitôt avertir le poste ; il s’agissait d’un criminel important, de la section réservée ; il fallait des formalités particulières pour constater le décès. Comme on attendait le garde, un des forçats émit à voix basse l’avis qu’il ne serait pas mal de fermer les yeux au défunt. Un autre l’écouta attentivement, s’approcha sans bruit du mort et lui abaissa les paupières. Voyant la croix qui gisait sur l’oreiller, cet homme la prit, la regarda et la passa au cou de Michaïlof ; puis il se signa. Cependant le visage s’ossifiait ; un rayon de lumière jouait à la surface ; la bouche était à demi entr’ouverte ; deux rangées de dents jeunes et blanches brillaient sous les lèvres minces, collées aux gencives.

« Enfin le sous-officier de garde parut, en armes, et le casque en tête, suivi de deux surveillants. Il avança, ralentissant toujours le pas, regardant avec hésitation les forçats silencieux, qui faisaient cercle autour de lui et le considéraient d’un air sombre. Arrivé près du corps, il s’arrêta comme scellé au plancher. On eût dit qu’il avait peur. Ce cadavre desséché, tout nu, chargé seulement de ses fers, lui imposait. Le sous-officier dégrafa sa jugulaire, retira son casque, ce que nul ne songeait à