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inexplicable, si l’on ignore l’œuvre qui a laissé dans ce pays la plus profonde empreinte, les ébranlements les plus intimes. Examinons des livres[1] d’une si grande conséquence, et d’abord le plus dramatique de tous, la vie de l’homme qui les conçut.


I

Il naquit en 1821, à Moscou, dans l’hôpital des pauvres ; par une destination implacable, ses yeux s’ouvrirent sur le spectacle dont ils ne devaient jamais se détourner, sur les formes les plus envenimées du malheur. Son père, un médecin militaire retraité, était attaché à cet établissement. Sa famille appartenait à ces rangs infimes de la noblesse où se recrute le peuple des petits fonctionnaires : comme toutes ses pareilles, elle possédait un modeste bien et quelques serfs, dans le gouvernement de Toula. On menait parfois l’enfant à cette campagne ; ces premières visions de la vie des champs reparaîtront de loin en loin dans son œuvre, mais rares et courtes. Au rebours des autres écrivains russes, amoureux de la nature et toujours ramenés à celle où ils ont grandi, Dostoïevsky ne lui prêtera qu’une attention distraite ; psychologue, l’âme humaine retiendra toute sa vue, ses paysages préférés seront les

  1. Œuvres complètes, 14 vol. in-8o, édition des frères Pantéléief, Saint-Pétersbourg, 1883.