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aube.

ter, quand ils seraient tous deux à la retraite. Où Savéû n’avait-il pas voyagé ? « En Tartarie », et bien loin vers le Nord, dans une expédition à la découverte du pôle. — « Pourtant, Savéû, vous ne l’avez pas touché, le pôle ? — Peut-être : si j’ai passé dessus sans le voir, qui sait ? » répondait sentencieusement le gabier.

— C’est Tartarin en personne, disais-je à Jean.

— Pas du tout, ne t’y trompe pas. Il y a une nuance très sensible entre nos gens et le légendaire Méridional. La conversation de Savéû me fait parfois songer à celle de M. Renan, transposée dans un autre mode ; à cette ironie légère, amusée, flottant sur un vaste lit d’expérience sérieuse, et, tout au fond, sur l’intarissable source de tristesse et de rêverie particulière aux races de marins.

— Regarde-les bien, continuait d’Agrève, ces grands enfants qui jouent là aux boules et s’amusent aux exploits de leur goéland apprivoisé. Lui aussi, il plaisante à sa façon, l’oiseau gémissant des tempêtes ; il enlève les boules et va les précipiter dans la mer, comme il enleva hier ton chapeau, — c’est sa facétie préférée, — à la grande joie de nos pêcheurs