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jean d’agrève.

sous la taie de l’âge, comme un fanal de vigie sous l’écoutille à demi fermée. Savéû raccommodait ses filets, troués par les marsouins, disait-il ; cet accident n’arrivait jamais qu’à lui. Une vieille femme, effondrée dans l’idiotisme, dodelinait de la tête au coin de l’âtre. Notre hôte nous offrit le myrte de Port-Cros, une liqueur exquise qu’on fabrique dans les ménages de l’île avec des baies de myrtes macérées dans l’alcool. Puis, l’ancien gabier se mit à conter ses campagnes : un appendice aux voyages de Sindbad le marin, et qui eût soutenu sans désavantage la comparaison. Il disait la frégate la Sabine, démâtée sous lui au cap Horn, quand il allait avec Dumont d’Urville à la recherche des terres australes. Il disait la perte sur un banc de corail, en vue de l’Inde, d’un bateau qui portait un chargement de deux millions ; Savéû avait gagné la terre, nu comme au jour de sa naissance ; habillé par une négresse charitable, à Bombay, il avait vécu trois mois avec elle dans une caverne. Il disait encore le mariage du prince de Joinville, à Rio de Janeiro, et les splendeurs qui l’avaient particulièrement frappé ; il attendait toujours le prince qui lui avait promis en 1840 de venir le visi-