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aube.

qui le saura. De son état actuel, il est entre autres choses fossoyeur de Port-Cros. État facile : tu le vois à leur âge et à leur mine, ces gaillards-là ne meurent jamais. Le drap mortuaire ne sert qu’à protéger les essaims d’abeilles du vieux curé, qui l’étend consciencieusement sur ses ruches. Néanmoins, Zourdan creuse de temps à autre une fosse, pour son usage ; parce que, prétend-il, on ne dort nulle part aussi bien, aussi fraîchement, par les nuits chaudes. Le Dalmate vit là-haut, dans cette petite cahute qui a la mine d’une maison de sorcier. Il y gîte avec une poule familière ; elle l’éveille avant l’aube en lui picotant les pieds, et il sort pour consulter les étoiles.

C’était enfin Savéû, l’homme considérable de la localité, le patron de la barque qui passait Jean en terre ferme. Savéû avait navigué trente ans à l’État, et voilà vingt autres années qu’il avait jeté l’ancre à Port-Cros. Il avouait soixante-dix ans ; il en paraissait cinquante ; trapu, vif, alerte, la face volontaire encadrée dans les favoris gris ; et deux yeux sondeurs de mer, deux yeux pleins de vieilles tempêtes, pleins de tous les cieux ressouvenus. Une indicible flamme de vie brillait au fond,