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jean d’agrève.

entre les bruyères fleuries où nous disparaissions tous deux. Il marchait devant moi d’un pas joyeux, d’un pas qui semblait prendre possession voluptueuse de cette terre ; il allait, me nommant tous les arbustes dont l’odeur nous grisait, appelant mon attention sur les merveilleuses coulées de la lumière au fond des entonnoirs où se tassent les pinèdes, jetant son coup de fusil aux faisans, aux perdrix qui se levaient sous nos pieds, et me répétant sur tons les tons :

— N’est-ce pas que nous revoilà dans notre Archipel ? Confesse que nous sommes dans les vrais domaines de Dieu ; pense que tu es encore à Imbros, sous le libre et vrai soleil qui brûle des formes de beauté, pense qu’ils sont vrais et libres, ces arbres, ces oiseaux sauvages, ces hommes que tu vois partir au-dessous de nous sur la mer…

Il me promena dans ses forêts, comme il aimait à dire, il me fit asseoir aux places préférées, à celles d’où le regard, protégé par la sombre visière des pins, plongeait brusquement sur des tableaux lumineux, sur le flamboiement des eaux aux feux du midi ou sur la nappe de saphir immobile à l’ombre des anses septentrionales. Quand il me ramena au logis,