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aube.

reux. Depuis lors, le tronc décapité ne fait plus que des gestes réflexes ; il se rajuste maladroitement des têtes artificielles, il les arrache aussitôt dans un spasme de révolte ; quoi que tu en dises, ça ne se recolle pas, une tête coupée, ça ne s’achète pas au marché électoral, ça ne se retrouve pas dans le bric-à-brac de famille : c’est un legs des siècles qu’on ne remplace plus, quant on l’a jeté à l’égout. Et sans tête on ne peut pas marcher. Tirez-vous de là. Ce n’est pas à nous autres marins qu’on en fera accroire avec votre catéchisme libéral : nous savons tous qu’un navire est fatalement perdu, s’il n’obéit pas à l’impulsion unique d’un cerveau, d’une volonté, d’un bras dirigeant tous les bras. Comme nous, le plus insubordonné de nos matelots sait qu’il irait vite nourrir les poissons, si le commandement faisait défaut une seule nuit. Or, toute ridicule qu’elle soit à force d’usure, la métaphore du vaisseau de l’État demeure rigoureusement exacte : ce qui serait folie sur un petit bateau ne peut pas être raison sur le grand.

« J’ai voulu m’étourdir par le bourdonnement intellectuel qui nous console de nos déchéances. Comme les autres, durant un temps,