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aube.

poésie. Elle s’échappait brusquement, comme jadis chez l’écolier ; il la refoulait aussitôt, du coup de gouvernail dont il eût redressé son navire allant à la dérive. Ce fut une des meilleures années de ma vie, et de la sienne aussi, sans doute, le bon temps que nous passâmes en vagabondages à travers la Grèce. L’émulation qui naît des longs et libres entretiens entre deux jeunes intelligences avivait en nous la fièvre de voir, de comprendre, de jouir des choses.

À mesure qu’il se livrait davantage, mis en confiance par mon amitié, je discernais les traits saillants de sa personne morale et j’en concevais quelque inquiétude pour son avenir. Sous la gravité naturelle, accrue par la discipline du métier, qui donnait à mon ami une assiette si ferme, on devinait une exaltation d’autant plus véhémente qu’elle était plus durement comprimée. « Nous avons tous au fond de nous un fou qu’il faut enfermer », disait-il parfois ; et il souriait de ma prédiction, lorsque je répliquais : Le fou trop étroitement verrouillé brisera tout à l’intérieur de sa prison. — L’immense et vague attente commune à tous les jeunes bommes prenait chez lui la forme d’une puissance de rêve effrayante,