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jean d’agrève.

longue campagne dans les mers de Chine.

Je le revis, comme je vous le disais, en 1866, quand le Château-Renault vint mouiller au Pirée. Le jeune enseigne était mûri par la vue réfléchie d’une moitié du globe et par l’exercice de son métier. J’observai une fois de plus, non sans quelque humiliation, la supériorité que ce métier donne aux marins sur les autres jeunes gens, à égalité d’âge et d’intelligence. Chaque nuit, pendant quatre heures, ils portent une responsabilité qu’on attend vingt-cinq ou trente ans dans les autres carrières ; durant ces heures, des centaines de vies humaines sont confiées à l’attention continue de leur cerveau, à la sûreté de leur regard, à la décision rapide de leur commandement. Cela met vite du plomb dans la tête. La règle et la solitude achèvent de former les moines du couvent errant.

Jean avait médité, tandis que nous, ses camarades terriens, nous nous laissions vivre au fil de notre jeunesse. Il avait beaucoup lu. Quand je lui montrai mon Athènes, je découvris un esprit prompt à toutes les curiosités, muni d’idées personnelles sur l’histoire, sur l’art ; une sensibilité frémissante à toutes les apparitions de beauté, à tous les souffles de