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midi.

toujours, avant de naître et depuis que je suis née. Enfant, j’appartenais déjà au temps présent, au temps vrai qui pour moi a commencé en vous. Je me rappelle ! Souvent, le soir, écoutant à ma fenêtre le cri des oiseaux sauvages, je les envoyais dans la nuit péné­trer ma destinée ; il me répondaient de bien loin par une plainte humaine dont j’adorais l’angoisse. Le matin, quand tous dormaient dans le grand château rouge et gris, je sortais pour aller au bord de la rivière longue, qui passe sous les bois en pleurant. Je regardais les insectes tenter les poissons, les fleurs baigner voluptueusement dans l’eau, les iris et les joncs abriter des mystères : j’écoutais les oiseaux chanter la joie de vivre. J’étais jalouse. J’enviais les ailes des oiseaux, l’agilité des mouches, la fluidité de l’eau, la vie positive des plantes. De tout j’étais jalouse ; j’aurais voulu être tout dans l’univers, tout pour l’univers. Ignorante, je ne savais pas que l’univers envié, voulu, c’était vous, et qu’en me donnant à lui je me donnais à vous avant de vous connaître. Où étiez-vous alors ? Dans un de ces pays étranges que vos yeux me redisent ? J’aime en vos yeux tous les mondes qu’ils ont vus. Il venait d’où vous