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le général ennemi. Le commandant laissa tomber la lettre à ses pieds et garda le silence.

Je vivrais cent ans que je n’oublierais pas l’angoisse de cette minute. Sous la clarté hésitante du fanal, autour du parlementaire turc, l’état-major était rangé, débordé par le flot des soldats ; les figures inquiètes de ceux-ci interrogeaient les chefs, et les chefs se taisaient, la tête basse. Chacun examinait son cœur, craignant de le deviner et de deviner du même coup celui de son voisin ; chacun luttait à part soi, mollement, contre les sophismes du désespoir, les lâchetés qui commençaient à ramper dans les âmes. La limite des forces humaines n’était-elle pas atteinte ? Faire plus, n’était-ce pas folie ? Moment terrible, où nul ne parlait, parce que tous attendaient la voix d’un plus faible qui vînt entraîner