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laissait en chemin dix, quinze, parfois jusqu’à vingt hommes, et, pour ce prix sanglant, elle rapportait quelques sceaux d’eau empoisonnée ; car l’ennemi avait eu soin d’entasser dans le ruisseau des cadavres d’hommes et de chevaux, qui communiquaient à cette eau une odeur fétide.

On rationna les soldats à une livre de biscuit et un bidon par jour ; encore était-ce là un idéal d’abondance dont il fallut bien rabattre par la suite. Dès la première semaine du siège, on avait dû renoncer à laver les plaies des blessés et à faire de la soupe pour eux. Ce tourment de la soif nous était infligé pendant les ardeurs d’un été d’Asie, après des nuits de guet et de combat ; le matin, nos premiers regards se levaient anxieux vers le ciel, brûlant comme une voûte de four, où pas un nuage ne venait promettre un soulagement à notre supplice.