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nous. Dans cette nuit prématurée et déloyale, avec de fausses lueurs de jour, dans cette tourmente muette qui dissimulait sa force, on sentait une fureur contenue, le désir et la puissance de nuire à l’homme par surprise, par un guet-apens sournois. Heureusement nous rencontrâmes le lit de la rivière ; il nous fournit une route certaine jusqu’à la maison. Avant la nuit close, nous étions réunis devant le poêle de faïence, autour du samovar qui chantait la chanson monotone des veillées russes.

Ce fut une longue soirée, dure à tuer. Mais pour combattre les ennuis de leur hiver, la Providence a donné aux fils de Rurik deux armes fidèles, les cartes et le thé ; entre le samovar et la table de jeu, les heures russes coulent inoffensives et inutiles, comme une monnaie dépréciée, si abondante que nul n’a jamais songé à