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Un hasard me le fit rencontrer pour la première fois au Caire, en 1876. M. de Lesseps ramenait à l’hôtel une de ces caravanes qui venaient fondre chaque soir sur sa table hospitalière : Tures, Levantins, explorateurs de contrées fabuleuses, amis bigarrés qu’il s’était faits sur tout le pour-tour de la planète. Ce jour-là, en traversant l’Ezbékieh, il avait pêché dans son coup de filet un jeune Russe qu’il nous présenta ; une de ces figures qu’on n’oublie plus quand on les a vues une fois : de beaux traits réguliers dans une face maigre et pâle, enfouie sous les longs cheveux bouclés, toute dévorée par de grands yeux admirables, pénétrants et mystiques ; une pensée à peine vêtue d’un peu de chair ; le modèle dont s’inspiraient les moines imagiers, quand ils peignaient le Christ slave qui aime, médite et souffre sur les vieilles icônes. En plein été d’Égypte, ce Christ portait une longue lévite noire et un chapeau à haute forme. Il nous raconta ingénument qu’il s’en était allé seul, dans cet accoutrement, chez les Bédouins du désert de Suez ; il recherchait une tribe où des initiés conservaient, lui avait-on dit, certains secrets de la Kabbale,