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THÉRÈSE

Mais tu l’as déjà racontée, mon petit…

ANTOINE, saisissant un couteau et frappant au milieu de la table.

Ah, je te tiens, Bazaine, je te tiens, eh bien, tiens, tiens, tiens ! (Pleurant.) Je vais mourir. Sa photographie ! Non, rien de vous, monsieur le Curé, pas de lecture, je vous en prie, je commande soldats, je vous dois la vérité, je suis cocu, et maintenant, visez, droit au cœur, droit au cocu.

(Il s’effondre.)
THÉRÈSE

Je vous l’avais bien dit. (Elle pleure.) Et depuis plus d’un mois c’est le même manège, imprévisible, latent, terrible.

(Silence angoissé. Personne n’ose bouger. Thérèse et Charles se regardent épouvantés. Lili se tient dans l’embrasure de la porte. Esther renifle dans un coin.)

VICTOR, s’approchant d’Antoine.

Antoine, au nom du peuple français, je te fais chevalier de la Légion d’honneur.

(Il lui donne l’accolade.)
ANTOINE, qui est de nouveau très calme.

Tu es gentil, Victor. Moi aussi je t’aime bien. Ta poésie m’a beaucoup touché. De qui est-elle ?

VICTOR

Elle est de Victor de Laprade. Je l’ai dite parce qu’il s’appelle Victor, comme moi.

ANTOINE, prenant tout le monde à témoin.

N’est-il pas adorable ? Eh bien, Esther ? tu pleures. Ta mère te refuse quelque chose, je suis sûr. Thérèse, ne la contrarie pas aujourd’hui. Donne-lui de la moutarde si elle en a envie, et elle va nous dire quelque chose, elle aussi. C’est son tour. N’est-ce pas, Esther ?