Page:Vitrac - Victor ou les Enfants au pouvoir, 1929.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LILI

Va-t-en, ou je t’étrangle !

VICTOR

Hein ? ma petite bonne femme ? hein ? le petit bonhomme ?

LILI

Cet âge est sans pitié !

VICTOR

Tu as trois fois cet âge, Lili…

LILI

Tais-toi, tais-toi, je t’en supplie !

VICTOR, prenant un verre sur la table.

Tu vois, ce verre, Lili ?

LILI

Oui, eh bien ?

VICTOR

C’est un verre en cristal de Baccarat. On le saura. Ma mère le répète à chaque réception. Il est unique, parce qu’il appartient à un service unique. C’est dire qu’il vaut très cher. J’aurais dû commencer par là. Écoute bien. J’ai neuf ans. Jusqu’ici j’ai été un enfant modèle. Je n’ai rien fait de ce qu’on m’a défendu. Mon père le rabâche : C’est un enfant modèle, qui nous donne toutes les satisfactions, qui mérite toutes les récompenses, et pour qui nous sommes heureux de faire tous les sacrifices. Ma mère ajoute qu’elle se saigne aux quatre veines, mais le sang reste dans la famille, et comme bon sang ne saurait mentir, je te le dis, j’ai été jusqu’à ce jour irréprochable. Si j’ai jamais mis ma main en visière pour pisser…

LILI

Oh !

VICTOR

… comme on me l’a recommandé, par contre je n’ai jamais introduit mon doigt dans le derrière des petites filles…