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Le second principe de notre école tient tout entier dans la solution de cet énoncé : trouver un rythme adéquat à l’expression des processus psychiques de l’âme humaine. Étant donnée la nature ondoyante et diverse du cœur, la complexité de nos passions sans cesse en mouvement, un vers libéré des entraves conventionnelles qui figent la poésie dans des attitudes pétrifiées, pouvait seul permettre aux symbolistes de saisir en instantané leurs plus imperceptibles émotions, au moment où elles traversent le champ de la conscience pour rentrer dans la nuit du néant. D’où le recours au vers prétendu libre.

Cette invention est capitale et tout à la gloire des poètes actuels : créer un rythme correspondant aux « représentations souples, mobiles, presque fluides, toujours prêtes à se mouler sur les formes fuyantes de l’intuition »[1]. Il me paraît inutile d’entrer aujourd’hui dans le détail en narrant les phases de cette lutte superbe pour ou contre l’hiatus, le sexe des

    un nouveau vers, dont la complexité, l’harmonie savante et la fluidité réponde à l’idée qu’ils se font de la poésie même. » Brunetière. Revue des Deux-Mondes, 1er avril 1891. — M. Gustave Kahn avait déjà émis la même idée, presque banale à force d’évidence : « N’est-il pas étonnant qu’au milieu de l’évolution perpétuelle des formes, des idées, des frontières, des négoces, des forces motrices, des hégémonies, d’un perpétuel renouvellement du langage…, seul le vers reste en général immobile et immuable ? » Revue indépendante, septembre 1888.

  1. Bergson, op. cit., p. 9.