à des spectateurs arrêtés au bord d’un océan d’ombre, nous contemplons ravis l’essor prodigieux de fusées lumineuses qui crèvent dans le ciel noir de nos esprits et le transforment une seconde en un grand soleil d’or.
— Ou bien, le poète, comprenant le danger de ces brusques poussées divinatoires, et qu’à force de concision on risque de s’évader de la sphère de beauté[1], prendra par le plus long, se plaira à nous amener peu à peu au sommet de lui-même, sans fatigue, sans dissociations heurtées, évitant les raccourcis trop raides. Jamais, pensons-nous, nous ne pourrons gravir le pic
- ↑ A. Mithouard, op. cit., p. 251.
« De toutes les formes de la littérature, celle du poème en prose était la forme préférée de des Esseintes. Maniée par un alchimiste de génie, elle devait, suivant lui, renfermer, dans son petit volume, à l’état d’of meat, la puissance du roman dont elle supprimait les longueurs analytiques et les superfétations descriptives. Bien souvent, des Esseintes avait médité sur cet inquiétant problème, écrire un roman concentré en quelques phrases qui contiendraient le suc cohobé des centaines de pages toujours employées à établir le milieu, à dessiner les caractères, à entasser à l’appui les observations et les menus faits. Alors les mots choisis seraient tellement impermutables qu’ils suppléeraient à tous les autres ; l’adjectif posé d’une si ingénieuse et d’une si définitive façon qu’il ne pourrait être légalement dépossédé de sa place, ouvrirait de telles perspectives que le lecteur pourrait rêver, pendant des semaines entières, sur son sens, tout à la fois précis et multiple, constaterait le présent, reconstruirait le passé, devinerait l’avenir d’âmes des personnages, révélés par les lueurs de cette épithète unique. » Huysmans, À Rebours, p. 264.