Ainsi, qu’on le veuille ou non, un vers, la poésie, adaptation de nous au réel, suppose toute une métaphysique. À cette métaphysique on ne pense guère, et c’est inconsciemment que tout poète dans la plus petite œuvre solutionne les rapports de l’être avec la nature. Impulsif, il écrit, et il se trouve que chacun de ses mots est autant de parcelles d’âmes palpitantes qui disent l’Homme.
On pourrait donc soutenir, et on l’a soutenu[1], que le poète a souvent devancé, en ce qui concerne le problème métaphysique, le philosophe de profession. Ces sortes de révélations, ces visions directes se comprennent parfaitement chez les grands artistes dont les procédés introspectifs sont plus rapides, que ceux des ontologistes à l’esprit obscurci de logique stérile. D’un bond ils franchissent les limites du relatif et le cri de leur cœur est celui de la nature ;
- ↑ Alfred Austin, poète lauréat anglais, dans un discours prononcé à Édimbourg en 1902, a protesté contre la thèse du professeur Dowden, d’après laquelle on peut très bien être un grand poète sans être en même temps un profond philosophe. Revenant sur les œuvres de Dante, Shakespeare, Milton, Shelley, Tennyson, Wordsworth et même Byron, Alfred Austin a prouvé que ces poètes avaient énoncé des théories philosophiques supérieures à celles des métaphysiciens de leur époque. « Être un grand poète, a-t-il dit, sans être un grand philosophe, est une impossibilité radicale qui tient à la raison d’être même de la poésie. » Shelley pensait de même et dans sa Défense de la poésie définit le poème : « l’image même de la vie, exprimée dans son éternelle vérité. »