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se donne la peine d’analyser la prime donnée, requière implicitement une solution transcendante, il est inutile de soulever les voiles qui cachent à nos yeux de myopes le très délicat mécanisme de la connaissance.

Qu’il suffise de constater que, dans la pratique, l’esprit humain ne se conçoit pas sans objet de perception, sans phénomènes, autrement dit, sans monde extérieur, — que ce dernier ait une réalité objective ou qu’il soit tenu pour de l’esprit précipité[1], il importe peu.

Oublier un des termes de la double équation, — nécessité d’un objet et d’un sujet, nécessité d’une passerelle pour les relier, — est un mauvais calcul. Car le moi ne se pose qu’en s’opposant un non-moi, et, prendre son élan vers les étoiles, sans s’assurer l’appui d’un sol indubitable, quoique représentatif, c’est poser son tremplin dans le vide pour mieux sauter. Les nécessités inhérentes au déploiement total des ailes de notre raison en réglementent l’essor. Pour celle-ci, ne pas dépasser les limites de son

  1. Emerson. On sait que pour l’idéaliste américain la nature n’est qu’un symbole de l’esprit. Voici sa phrase : « Elle est (la nature) l’incarnation d’une pensée et redevient pensée, de même que la glace devient eau et vapeur. Le monde est de l’esprit précipité et l’essence volatile s’en échappe incessamment à l’état de pensée libre. De là l’influence des objets naturels sur l’esprit. L’homme emprisonné, l’homme cristallisé, l’homme végétal s’adresse à l’homme personnifié ». Essays and series, Nature.