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remplir de pommes. Les fruits que le vent, la grêle ou la maturité précoce abattaient dans l’herbe, et dont les petites sœurs des pauvres ne voulaient pas pour régaler leurs vieillards, étaient miens. Je les coupais en tranches, avec une dame les pilais dans une benne de vendangeurs qu’on nomme en patois benate, puis et surtout les arrosais d’eau. — Ah ! quel rôle ce liquide aura joué dans ma vie ! Je n’ai jamais compris le commentaire de Lamartine au sujet du Super flumina babylonis : « l’eau est l’élément triste ». Moi j’ai toujours navigué à travers les rigolles en chantant. Mon enfance est entourée de ruisseaux.

Alors je pressais cette marmelade. Des bouts de pelures, des pépins, des macaroni noirs jaillissaient à travers les fentes du collier. Une boue épaisse coulait le long de la tranchée qui entoure le plateau de bois. Aucun décantage ne parvenait à clarifier cet alcoolat consistant, cette vase brune. Mais que m’importait ! L’essentiel n’était-il pas