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Jamais, comme en ce soir de mai, où je m’efforce de décomposer sous vos yeux ce geste décisif de mon existence, je n’ai mieux compris la supériorité de Shakespeare sur nos auteurs classiques. Racine et Molière nous proposent sur la scène des caractères toujours égaux à eux-mêmes, selon un principe cher à Boileau : l’unité d’action. Cette simplification artificielle est encore due à un excès de logique. La vie s’impose autrement complexe, avec ses sautes brusques et ses décevantes volte-face. Chez l’auteur du Marchand de Venise, au contraire, le type humain se dépouille de tout schématisme. Dans le même personnage les contraires se donnent rendez-vous et les actes obéissent à des poussées inconscientes.

Sans doute des milliers d’êtres, même aux instants les plus décidés de ma rage individualiste, n’ont jamais cessé de me tendre des bras suppliants. Mais j’aurais aussi bien pu demeurer toujours enchaîné à mon rocher, avec le vautour de la métaphysique acharné