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Je n’écoutais guère la mercuriale, les yeux perdus et l’âme absente. Pourtant j’entendais se lever en moi, du fond de ma tristesse, comme une entraînante mélodie. Ce n’était plus la voix de Georges, mais celle de ma propre conscience, qui m’interpellait avec quelle violence ironique ! Un dernier accord foudroyant et la toile bariolée que j’avais dressée avec mes mains, avec mon esprit, avec tout mon vouloir, se déchira. Par de là, un frais décor était planté. J’eus la vision confuse d’un verger fleuri dans un cirque de montagnes étincelantes. Deux formes silencieuses et hiératiques contemplaient la fusée du jet d’eau menu au centre de la pelouse. Je me penchai à mon tour sur la vasque de pierre et ne vis que le reflet de nos deux enfances, Mad, la vôtre et la mienne, à peine troublées dans leur songe par la chute murmurée des perles blanches sur le miroir liquide. En une seconde je découvris, à la manière des moribonds, un immense pan de ma vie, et je crus réintégrer d’anciens états d’âme.