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L’astre naissant des nuits poindre parmi les ombres,
Son fantôme léger apparaît au héros.
Il vient, il s’attendrit, pleure et lui dit ces mots :
« Est-ce vous que je vois ? ô reine malheureuse !
Elle est donc vraie, hélas ! cette nouvelle affreuse
Qui m’a dit votre mort et votre désespoir ?
Hélas ! et j’en suis cause, et n’ai pu le prévoir !
Non, je n’ai pu prévoir qu’un destin si sévère
Suivrait de votre amant la fuite involontaire.
Qu’il m’en coûta de fuir des rivages si chers !
Oui, j’atteste les dieux, les astres, les enfers,
Que de ces même dieux, dont la loi souveraine
Entraîne ici mes pas dans la nuit souterraine,
L’ordre sacré, lui seul, put m’arracher à vous.
Arrêtez ! pourquoi rompre un entretien si doux ?
Laissez-moi prolonger cette douce entrevue ;
Pour vous pleurer encor mes yeux vous ont revue,
Et je vous entretiens pour la dernière fois ! »
Ainsi, mêlant de pleurs sa douloureuse voix,
Il parlait. Didon garde un farouche silence,
Se détourne en fureur de l’objet qui l’offense ;
Et ses yeux, d’où partaient des regards courroucés,
Demeurent vers la terre obstinément baissés :
Le marbre de Paros n’est pas plus inflexible.
Enfin elle s’échappe, et son âme sensible
Retourne au fond des bois, à ses douleurs si doux,
Jouir des tendres soins de son premier époux.
Le héros plaint tout bas sa triste destinée,
Et suit longtemps des yeux cette ombre infortunée.
Mais il reprend sa route ; il arrive en ces lieux
Où la valeur jouit d’un repos glorieux.
Il y voit Parthénope et le vaillant Tydée,
L’ombre du pâle Adraste encore intimidée.
Il reconnaît surtout ces généreux Troyens
Que moissonna le fer dans les champs phrygiens,