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Ah ! prince, puisqu’enfin la fortune jalouse
Défend un nom plus tendre à la plus tendre épouse,
A qui vas-tu livrer la mourante Didon ?
Malheureuse ! Eh ! qu’attendre en ce triste abandon ?
Que mon frère en courroux mette en cendres Carthage !
Qu’Iarbe, triomphant, m’entraîne en esclavage !
Encor, si je voyais, se jouant dans ma cour,
Croître un petit Enée, enfant de notre amour,
Qui, charmant comme toi, tendre comme sa mère,
Par ses traits seulement me rappelât son père ;
Si trompant mes ennuis, je pouvais quelquefois
Dire : voilà son air, sa démarche, sa voix,
Je ne me croirais pas entièrement trahie,
Et ton image au moins consolerait ma vie ! »
Elle dit. Le héros, plein de l’ordre des dieux,
Etouffant la douleur de ses tristes adieux,
Tient baissé vers la terre un regard immobile.
« Cessez, dit-il enfin, un reproche inutile :
Grande reine ! mon cœur se plaît à l’avouer,
De vos nombreux bienfaits j’ai lieu de me louer.
Mon cœur garde à jamais les traits de ce que j’aime ;
Avant de l’oublier, je m’oublierai moi-même.