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Tu refusas le jour à ce siècle pervers ;
Une éternelle nuit menaça l’univers.
Que dis-je ? Tout sentait notre douleur profonde,
Tout annonçait nos maux : le ciel, la terre et l’onde,
Les hurlements des chiens, et le cri des oiseaux.
Combien de fois l’Etna, brisant ses arsenaux,
Parmi des rocs ardents, des flammes ondoyantes,
Vomit en bouillonnant ses entrailles brûlantes !
Des bataillons armés dans les airs se heurtaient :
Sous leurs glaçons tremblants les Alpes s’agitaient ;
On vit errer, la nuit, des spectres lamentables ;
Des bois muets sortaient des voix épouvantables ;
L’airain même parut sensible à nos malheurs ;
Sur le marbre amolli l’on vit couler des pleurs :
La terre s’entrouvrit, les fleuves reculèrent ;
Et, pour comble d’effroi... les animaux parlèrent.
Le superbe Eridan, le souverain des eaux,
Traîne et roule à grand bruit forêts, bergers, troupeaux ;
Le prêtre, environné de victimes mourantes,
Observe avec horreur leurs fibres menaçantes ;
L’onde changée en sang roule des flots impurs ;
Des loups hurlant dans l’ombre épouvantent nos murs ;
Même en un jour serein l’éclair luit, le ciel gronde,
Et la comète en feu vient effrayer le monde.
Aussi la Macédoine a vu nos combattants
Une seconde fois s’égorger dans ses champs ;
Deux fois le ciel souffrit que ces fatales plaines
S’engraissassent du sang des légions romaines.
Un jour le laboureur, dans ces mêmes sillons
Où dorment les débris de tant de bataillons,
Heurtant avec le soc leur antique dépouille,
Trouvera, plein d’effroi, des dards rongés de rouille :
Verra de vieux tombeaux sous ses pas s’écrouler,
Et des soldats romains les ossements rouler.

Ô père des Romains, fils du dieu des batailles !