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Qu’au tranchant de la faux on livre la moisson,
Que sur l’épi doré le fléau se déploie.
Donne aux soins les beaux jours, et l’hiver à la joie.
L’hiver, tel qu’un nocher qui, plein d’un doux transport,
Couronne ses vaisseaux triomphants dans le port,
Tranquille sous le chaume, à l’abri des tempêtes,
L’heureux cultivateur donne ou reçoit des fêtes :
Pour lui ces tristes jours rappellent la gaîté ;
Il s’applaudit l’hiver des travaux de l’été.

Alors même sa main n’est pas toujours oisive ;
De l’arbre de Pallas il recueille l’olive ;
Le myrte de Vénus lui cède un fruit sanglant,
Et le laurier sa graine, et les chênes leur gland.
Les flots sont-ils glacés, les champs couverts de neige ?
Il tend des rets au cerf, prend l’oiseau dans un piège,
Ou presse un lièvre agile, ou, la fronde à la main,
Fait siffler un caillou qui terrasse le daim.
D’autres temps, d’autres soins. Dirai-je à quels désastres
De l’automne orageux nous exposent les astres,
Quand les jours sont moins longs, les soleils moins ardents ;
Ou quels torrents affreux épanche le printemps,
Quand le blé d’épis verts a hérissé les plaines,
Et des flots d’un lait pur déjà gonfle ses veines ?
L’été même, à l’instant qu’on liait en faisceaux
Les épis jaunissants qui tombent sous la faux,
J’ai vu les vents, grondant sur ces moissons superbes,
Déraciner les blés, se disputer les gerbes,
Et, roulant leurs débris dans de noirs tourbillons,
Enlever, disperser les trésors des sillons.

Tantôt un vaste amas d’effroyables nuages,
Dans ses flancs ténébreux couvant de noirs orages,
S’élève, s’épaissit, se déchire ; et soudain
La pluie, à flots pressés, s’échappe de son sein ;
Le ciel descend en eaux, et couche sur les plaines
Ces riantes moissons, vains fruits de tant de peines ;