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Et le riche Gargare, et l’heureuse Mysie,
Enfantent ces moissons qui nourrissent l’Asie.
Au maître des saisons adresse donc tes vœux.
Mais l’art du laboureur peut tout après les dieux.
Dans les champs la semence est-elle déposée,
Il la couvre à l’instant sous la glèbe écrasée ;
Puis d’un fleuve, coupé par de nombreux canaux,
Court dans chaque sillon distribuer les eaux.
Si le soleil brûlant flétrit l’herbe mourante,
Aussitôt je le vois par une douce pente
Amener, du sommet d’un rocher sourcilleux,
Un docile ruisseau, qui sur un lit pierreux
Tombe, écume, et, roulant avec un doux murmure,
Des champs désaltérés ranime la verdure.
Tantôt, pour empêcher qu’un frêle chalumeau
Ne languisse accablé sous un riche fardeau,
Dès qu’il voit du sillon sortir ses blés superbes,
Il livre à ses troupeaux le vain luxe des herbes.
Tantôt son bras actif, desséchant des marais,
De leurs dormantes eaux délivre les guérets ;
Surtout lorsque, gonflant ses ondes orageuses,
Un fleuve a submergé les campagnes fangeuses,
Et que du noir limon dont les champs sont couverts
L’exhalaison impure empoisonne les airs.
Mais, malgré tant de soins, malheureux que nous sommes !

Malgré les animaux qui secondent les hommes,
Tout n’est pas fait encor ; crains pour tes jeunes blés
L’ombre, et l’herbe indomptable, et les brigands ailés.
Tel est l’arrêt fatal du maître du tonnerre :
Lui-même il força l’homme à cultiver la terre ;
Et, n’accordant ses fruits qu’à nos soins vigilants,
Voulut que l’indigence éveillât les talents.
Avant lui, point d’enclos, de bornes, de partage ;
La terre était de tous le commun héritage ;
Et, sans qu’on l’arrachât, prodigue de son bien
La terre donnait plus à qui n’exigeait rien.
C’est lui qui, proscrivant une oisive opulence,