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Et des enfers, charmés de ressaisir leur proie,
Trois fois le gouffre avare en retentit de joie.
Eurydice s’écrie : « Ô destin rigoureux !
Hélas ! Quel dieu cruel nous a perdus tous deux ?
Quelle fureur ! Voilà qu’au ténébreux abîme
Le barbare destin rappelle sa victime.
Adieu ; déjà je sens dans un nuage épais
Nager mes yeux éteints, et fermés pour jamais.
Adieu, mon cher Orphée ! Eurydice expirante
En vain te cherche encor de sa main défaillante ;
L’horrible mort, jetant un voile autour de moi,
M’entraîne loin du jour, hélas ! et loin de toi. »
Elle dit, et soudain dans les airs s’évapore.
Orphée en vain l’appelle, en vain la suit encore,
Il n’embrasse qu’une ombre ; et l’horrible nocher
De ces bords désormais lui défend d’approcher.
Alors, deux fois privé d’une épouse si chère,
Où porter sa douleur ? Où traîner sa misère ?
Par quels sons, par quels pleurs fléchir le dieu des morts ?
Déjà cette ombre froide arrive aux sombres bords.
« Près du Strymon glacé, dans les antres de Thrace,
Durant sept mois entiers il pleura sa disgrâce :
Sa voix adoucissait les tigres des déserts,
Et les chênes émus s’inclinaient dans les airs.
Telle sur un rameau durant la nuit obscure,
Philomèle plaintive attendrit la nature,
Accuse en gémissant l’oiseleur inhumain,
Qui, glissant dans son nid une furtive main,
Ravit ces tendres fruits que l’amour fit éclore,
Et qu’un léger duvet ne couvrait pas encore.
Pour lui plus de plaisir, plus d’hymen, plus d’amour.
Seul parmi les horreurs d’un sauvage séjour,
Dans ces noires forêts du soleil ignorées,
Sur les sommets déserts des monts hyperborées,
Il pleurait Eurydice, et, plein de ses attraits,
Reprochait à Pluton ses perfides bienfaits.
En vain mille beautés s’efforçaient de lui plaire :